Femmes et migration au Niger 1

Pays de départ, d’accueil et surtout de transit de migrants subsahariens, le Niger a connu au début des années 2000, un phénomène nouveau avec le développement d’une migration féminine, notamment dans sa partie méridionale. En effet, c’est à Kantché, un département de la région de Zinder, dans le centre-est du pays, que des femmes accompagnées souvent d’enfants partent pour l’Algérie, leur principale destination. Jadis marginal, le phénomène met un coup d’arrêt à une vieille tradition dans cette zone où ce sont de jeunes hommes de 18 à 40 ans qui partaient en exode saisonnier, après la récolte du mil, vers les villes voisines du Nigéria, où ils exerçaient des petits métiers du prolétariat urbain. Les revenus tirés de cet exode, permettaient aux familles de faire face aux dépenses courantes pendant la période de soudure. Mais avec l’insécurité qui sévit depuis quelques années dans ce grand pays sahélien en proie aux attaques meurtrières de Boko Haram et à une récession économique, les bras valides de Kantché se sont résignés pour certains, à changer d’itinéraires. Depuis, c’est la migration des femmes et des filles qui s’est accrue. Quelles en sont les raisons ?

Un rapport d’étude socio-anthropologique traitant de la migration des femmes et des enfants de Kantché vers l’Algérie publié par l’OIM en 2016 relève d’une part qu’en dehors de l’agriculture pluviale, « les opportunités d’emploi sont très limitées et peu attrayantes » ; et d’autre part, que « l’émiettement des terres de cultures sur lesquelles les populations continuent d’appliquer des techniques culturales dépassées contribuent au très faible rendement des terres ». Selon les auteurs, « les départs en migration apparaissent une des solutions saisies par les populations pour répondre à leurs besoins de survie ».

Jusqu’à ce que survienne le drame du 13 septembre 2013, avec la découverte dans le désert nigérien, non loin de la frontière algérienne, des corps de 92 migrants, en majorité des femmes et des enfants, ressortissants pour la plupart du département de Kantché, morts de soif après une panne de leur véhicule. Les déplacements de personnes sur ces axes ne faisaient l’objet d’aucune entrave de la part des pouvoirs publics nigériens ; c’est même sous le contrôle de la police, que ces départs s’effectuaient à partir d’Agadez ou Arlit.

Cette tragédie a mis en lumière l’ampleur de cette migration féminine et d’enfants, et a servi aussi de prétexte au gouvernement pour adopter la loi 2015-036 sur le trafic illicite des migrants. Ce texte s’inscrit dans la droite ligne de l’externalisation des contrôles des flux migratoires souhaitée par l’Union Européenne. Ses effets se sont faits rapidement ressentir dans l’économie de la région d’Agadez, qui reposait jusqu’alors et en bonne partie sur le trafic de migrants, ainsi que sur l’activité des transporteurs de migrants, des passeurs et propriétaires des « ghettos » (abris où séjournent les migrants). Une précision s’impose, car la différence entre transporteurs de migrants et passeurs est subit.  A Agadez les transporteurs sont les propriétaires des véhicules de transport des migrants, tandis que les passeurs sont ces personnes qui s’occupent de loger et de nourrir les migrants, avec souvent des contacts depuis le pays de départ. Certains d’entre eux  sont aussi des propriétaires de ghettos qui travaillent avec des coxeurs qui leur orientent les migrants. Dans cette chaîne où beaucoup d’argent est brassé, on s’adonne à divers trafics et même à la traite de personnes, notamment l’exploitation des femmes à travers des réseaux de prostitution. Face  au développement de ces trafics illicites, l’Etat a usé du bâton. C’est ainsi que la traque, l’arrestation et l’emprisonnement des transporteurs et passeurs, la confiscation de leurs véhicules ont conduit certains de ces acteurs de l’économie migratoire à abandonner leur activité. Selon des chiffres du Conseil régional d’Agadez, ce ne sont pas moins de 6.565 ex « prestataires de la migration » qui ont été enregistrés au lendemain de l’adoption de la loi 2015-036, et qui sont concernés par le Plan de reconversion. Malheureusement, à ce jour, seulement 900 d’entre eux ont bénéficié d’un appui.

Selon Hamadou Oumarou, représentant des ex prestataires de la migration au niveau du Conseil régional de la région d’Agadez, depuis l’adoption de cette loi, il y a eu au moins 130 personnes interpellées avec une centaine de véhicules confisqués et qui ont fini par être vendus aux enchères.

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Des projets de reconversion économique sont fournis par l’Union Européenne. Au Niger, premier pays à bénéficier du Fonds Fiduciaire d’Urgence pour l’Afrique, visant à favoriser la stabilité et la sécurité dans la région du Sahel et du Lac Tchad, seuls 10 millions d’euros sur plus de 250 millions d’euros budgétisés sont gérés par la Haute Autorité pour la Consolidation de la Paix (HACP) et l’ONG Karkara, afin de trouver des alternatives à la reconversion des acteurs de la migration, dans le cadre du « Plan d’Action à Impact Économique Rapide à Agadez » (PAIERA). Le mécanisme d’élaboration de ces projets et leur mode de financement sont loin d’être adaptés aux contextes des pays bénéficiaires. Le Bilan migration 2018- 2019 du gouvernement nigérien indique d’ailleurs que « certains projets FFU exécutés au compte du Niger » ne prennent pas en compte les plans de développement communaux et régionaux ». Cela fait courir le risque souligne-t-il, d’un déphasage par rapport aux besoins réels des populations ». (Source : Secrétariat permanent du Cadre de concertation sur la migration)

 Une association de lutte contre la migration irrégulière a même vu le jour. Bachir un ancien passeur en est le président. Exaspérés par l’insuffisance des aides à la reconversion, ces repentis qui naguère pratiquaient un business juteux ont plusieurs fois appelé le bailleur à revoir sa copie en augmentant l’enveloppe des projets de reconversion. D’autres, comme Ahmad, ont préféré tout simplement se tourner vers le site aurifère du Djado au nord d’Agadez, où il pense avoir réussi sa reconversion ; tandis que les plus « récalcitrants » eux, continuent à exercer clandestinement leur activité en empruntant désormais des voies secondaires plus dangereuses, car malgré le durcissement des mesures de contrôle aux frontières et les refoulements massifs, les candidats et candidates à la migration ne se découragent pas. C’est le cas des « Yan Kantché » (femmes de Kantché) qui nourrissent toujours le projet d’aller en Algérie. Dans la ville d’Agadez, elles sont nombreuses à arpenter certaines voies publiques accompagnées d’une kyrielle d’enfants.

Certaines d’entre elles ont été refoulées récemment d’Algérie, d’autres se préparent à y aller où elles n’ont d’autre activité que la mendicité. Si elles s’attardent à Agadez, c’est pour travailler et se constituer un petit capital qui leur permettra de payer leur transport pour l’Algérie.

Dans un quartier à la périphérie de la ville, à la devanture des maisonnées de fortune, nous nous sommes entretenus avec certaines d’entre elles.

Nahissa est une jeune femme de 32 ans, originaire de Kohoto, un petit village situé aux environs de Kantché, dans la région de Zinder. Nahissa est veuve depuis quelques années. Elle fait partie de cette communauté de femmes dites « yan Kantché ».

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Sans le sou et sans aucune ressource lui permettant de subvenir à ses besoins et à ceux de ses quatre enfants, comme elle l’explique elle-même, elle décide de tenter l’aventure. Mais quelle aventure ? Elle a décidé de partir, de faire comme beaucoup de ses congénères, en direction du Nord, éventuellement vers l’Algérie où elle a appris qu’on pouvait se faire beaucoup d’argent… rien qu’en mendiant !

Elle s’est débrouillée pour réunir l’argent qui lui permettrait de venir à Agadez avec ses enfants car, pour elle, il n’est en aucun cas question de partir sans eux. Ici, la stratégie est simple : essayer de trouver du travail domestique en vue, là encore, de réunir l’argent qui leur permettra de poursuivre leur voyage jusqu’à cette terre promise où les gens sont si généreux avec les personnes indigentes comme elle. Elle devra pour ce faire, passer par Arlit.

Malheureusement pour elle, la stratégie n’est pas payante ne trouvant pas de travail stable, elle se retrouve à mendier avec ses enfants dans les rues d’Agadez où elle vit depuis bientôt six mois.

Pas toutes de Kantché

 Aboubacar Sodé est le coordonnateur de l’ONG Appui Solidarité Action pour le Développement (ASAD). Une ONG qui apporte assistance aux migrants expulsés d’Algérie ou de la Libye, ou en transit, souhaitant continuer leur périple en Europe.

Celui-ci est catégorique, l’appellation « Yan Kantché » est abusivement utilisé aujourd’hui pour désigner toutes ces femmes qui partent mendier en Algérie. Selon lui, « ces femmes sont en majorité originaires du Nigéria notamment des Etats fédérés de Daoura, Katsina et Zanfara ». Selon lui, « ce sont des femmes qui parlent la même langue que celles de Kantché, avec le même accent. Du coup, il est pratiquement impossible de faire la différence entre elles ».

 Jummay et Lami sont des quadragénaires. Elles vivent comme toutes ces « Yan Kantché », en périphérie de la ville. Des parcelles qu’elles occupent en construisant des abris de fortune fait de bric et de broc. Elles vivent avec d’autres femmes, toutes accompagnées de deux, trois voire quatre enfants. Toutes sont originaires du Nigeria, et toutes racontent la même histoire. C’est la pauvreté qui les a poussées à partir.

Elles ont séjourné à Agadez, puis à Arlit où elles travaillaient comme bonnes avant de poursuivre vers l’Algérie, sans encombre.

Trop vieilles, ou plutôt, trop fatiguées pour effectuer certains travaux ménagers que leur imposaient les patrons arabes, elles se sont retrouvées dans la rue, à mendier. Il faut dire, explique Jummay, « que les arabes sont très généreux à notre égard, contrairement à la police dont nous avons appris à nous méfier dès notre arrivée à Alger ».

Malgré toutes leurs précautions, elles n’ont pas échappé au rouleau compresseur des forces de l’ordre qui a fini par les rafler juste un mois après leur arrivée, à la suite de quoi elles ont été expulsées vers Agadez. Évidemment, elles ne pouvaient qu’atterrir dans cette ville carrefour de la migration sahélo-maghrébine, puisqu’elles étaient considérées comme nigériennes.

Aujourd’hui, Jummay et les autres femmes ont été rejointes dans leur « Ghetto » par Maamoura, une jeune femme de 25 ans qui a vécu un an durant à Alger. Plus jeunes que les autres, elle alternait dans son périple, les travaux domestiques en tant que bonne à tout faire et la mendicité.

L’histoire de Maamoura diffère quelque peu de celle de ses congénères car lorsqu’elle en a eu assez de vivre là-bas, elle est tout simplement revenue au pays, par ses propres moyens et sans encombre. Elle est venue jusqu’à Agadez où, pour son malheur, elle a rencontré un homme qui l’a séduite et qui lui a fait un enfant, avant de l’abandonner. Et si elle est aujourd’hui à Agadez, assure-t-elle, c’est pour régler quelques détails avec le père de son enfant.

 Tout n’est pas aussi rose pour ces candidates à la migration. Certaines sont victimes de violences de toutes sortes tout au long de leur parcours, d’autres sont accusées de pratiquer la prostitution dans les villes algériennes ou sont exploitées par des réseaux de traite des personnes. Quand elles sont expulsées du pays d’accueil, certaines reviennent avec des traumatismes psychologiques dus aux violences multiformes subies et l’échec du projet migratoire, d’autres sont stigmatisées au niveau familial et communautaire. Sur place, l‘assistance juridique et judiciaire reste hélas faible.

Nana Aicha est une jeune femme de 32 ans, originaire de Matamaye, une ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Zinder. Elle est partie en Algérie et y a vécu pratiquement 10 mois. Elle est revenue au pays après avoir été raflée. A mot couvert, elle raconte le calvaire que vivent la plupart des femmes qui partent vers l’Algérie. « J’ai eu au moins deux amies qui sont mortes au cours de ce périple », explique-elle.

« Je travaillais en tant que bonne et je ne gagnais que 15.000 francs CFA par mois », poursuit-elle. « Moi, personnellement j’ai eu des patrons qui m’ont bien traitée. Mais il arrive que vous rencontriez des patrons impossibles à vivre et qui n’hésite pas à violenter leurs employés, jusqu’à les violer. Je vivais à Alger, la capitale, mais lorsque je voulais partir, je me suis rendue à Bejaïa [250 km à l’est d’Alger, ndr] dans l’espoir de me faire rapatrier au pays ».

Son récit fait ensuite place à la famille, dont elle est encore séparée. « Je suis mariée et j’ai eu cinq enfants, dont un est décédé. Mon mari vit à Accra, au Ghana, il a tout fait pour que je retourne à la maison mais du moment où il est lui-même absent, j’ai préféré rester un moment ici, à Agadez, travailler ».

Toujours est-il, explique-t-elle, « ici aussi je travaille comme bonne et je gagne pratiquement la même chose qu’en Algérie mais la différence c’est que j’ai l’esprit tranquille. Je sais que je suis au pays, parmi mes semblables et qu’en cas de besoins, je peux compter sur eux mais en Algérie, on nous considère, nous les étrangers, particulièrement les femmes, comme des moins que rien »   

En fin d’interview, Nana Aicha révèle qu’à demi-mot, que parmi ses cinq enfants, les deux derniers sont nés entre l’Algérie et Agadez. Et sur ce chapitre, elle reste silencieuse…

      

L’Algérie malgré tout

 

L’Algérie opère depuis quelques années, et souvent avec l’accord du gouvernement nigérien des vagues d’expulsions massives de migrants subsahariens. Les migrantes de Kantché constituent le plus gros lot selon des sources officielles. Les refoulements se sont accentués avec la pandémie de la Covid-19. Les forces de sécurité algériennes font des descentes inopinées dans certaines villes pour démanteler les campements des migrants.

Ces expulsions massives ont accentué malheureusement la vulnérabilité de milliers de ménages nigériens. Les interventions humanitaires de l’Etat nigérien et des ONG qui soutiennent les retournés à travers des activités génératrices de revenus sont aux yeux des migrantes, insignifiantes. Pour elles, l‘Algérie demeure l‘eldorado. Malgré le durcissement des mesures de contrôle aux frontières et les refoulements massifs, ces femmes nourrissent toujours le projet de retourner en Algérie car pour elles, la migration vers ce pays, constitue un levier de leur résilience face à la pauvreté.  

   

Albert Chaibou et Seydou Assane     

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